La cathédrale et nous

III

Parmi la magnificence familière des avoines mousseuses des orges duveteux (de loin on eût dit des champs de plumes) des blés si droits sur leur tige, la voiture roulait doucement...

« Ne pensons pas trop, disait Vitalis, à l'émotion qui nous attend, il importe que notre pèlerinage garde le bénéfice de l'impromptu... Je redoute les voyages préparés longtemps à l'avance... »

Gilbert l'interrompit : « On n'en peut être que déçu. »

« Déçu n'est pas absolument le mot, reprit Vitalis, la vérité est qu'on a trop pensé à ces voyages on en a trop imaginé toutes les phases, on a trop spéculé sur ses émotions probables... Une fois parti, au lieu de laisser s'émouvoir ses plus profondes réserves, on ne songe qu'à confronter ce qu'on croyait trouver avec ce que l'on trouve, et cette recherche paralyse en quelque sorte la sensibilité... les quelques heures que j'ai passées au Parthénon en ont été empoisonnées.

Marc

Tu n'as pas été ému à l'Acropole ?

Vitalis

Entendons-nous. La structure du paysage est si strictement en harmonie avec celle des monuments qu'on est forcé d'être infiniment satisfait... Mais vois-tu, et c'est une idée dont je me réserve de reparler, l'Acropole n'est qu'un tombeau de vérités mortes. Comme le temps a éboulé ces temples, le christianisme a ruiné leur âme. Que viennent chercher ici un Chateaubriant, un Maurras, un Barrès ? Ont-ils oublié que depuis le Parthénon un événement est intervenu qu'aucune Renaissance n'effacera... Ces temples expriment la sagesse des grecs, et depuis vingt siècles nous vivons dans la folie de la Croix.

Marc

Taisez-vous, c'est derrière ce bouquet d'arbres qu'on aperçoit la Cathédrale, dans un instant vous allez la voir...

A l'horizon n'émergèrent d'abord que deux épis plus sombres et que discerna le premier Vitalis : « La Cathédrale », murmura-t-il... le paysage en fut comme transformé, nous ne la voyions pas encore mais nous en percevions le rayonnement, comme à la clarté de l'air on pressent le voisinage des côtes. Peu à peu ses tours grandirent. Tels ces cyprès ou ces peupliers d'Italie, dont l'élan spiritualise les campagnes les plus charnelles, elles animèrent toute la plaine... le long plateau chargé de blé ne fut plus qu'une offrande préparatoire à la louange qu'elles inscrivaient sur le ciel.